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La Maison Littérature - Page 19

  • Buzzati en ce moment précis

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    Reconnaissance à un auteur (parfois) sous-estimé...

    Dino Buzzati aurait eu cent ans le 16 octobre 2006, et c’est aujourd'hui encore et plus que jamais l’occasion d’évaluer, quarante-cinq ans après la disparition de ce grand écrivain un peu snobé de son vivant, mais actuellement traduit en plus de 30 langues et faisant l’objet de constantes redécouvertes, l’héritage réel de l’auteur du célébrissime Désert des Tartares.
    Parallèlement à la réédition du premier volume de ses Œuvres, contenant précisément son chef-d’œuvre, vient de paraître le second tome constituant, peut-être, la meilleure introduction à l’ensemble. Deux raisons à cela: la très éclairante préface de Delphine Gachet, responsable de cette nouvelle édition d’une rigueur critique accrue, et l’illustration de trois aspects majeurs de l’œuvre, avec deux romans (L’image de pierre et Un amour), trois recueils de nouvelles (L’écroulement de la Baliverna, Le K et Les nuits difficiles) et deux volumes de « carnets » encore peu connus mais qui constituent bel et bien le noyau de l’œuvre, tenant à la fois du journal de bord fragmentaire (jamais borné à la notation intimiste quotidienne), du recueil d’amorces de récits ou de poèmes, enfin du kaléidoscope de réflexions sur la société, les relations humaines, les choses de la vie et de la mort, sous les titres respectifs d'En ce moment précis et de Nous sommes au regret de...
    Exemples à l’appui, Delphine Gachet montre comment Buzzati, du genre de scribe à écrire tout le temps, passait du journalisme à la nouvelle ou de la chronique au roman, avec le même souci de raconter dans une langue sans fioritures, dégageant les composantes mystérieuses ou révélatrices des scènes les plus quotidiennes.

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    Ainsi le reporter va-t-il « couvrir » la construction du métro de Milan, dont le nouvelliste extrapolera les visions futuristes dans son Voyage aux enfers du siècle, l’un des récits réunis dans Le K. Visionnaire souvent prophétique, Buzzati semble pressentir, aussi bien, l’implosion de l’empire soviétique en décrivant (en 1954) L’écroulement de la Baliverna, et la nouvelle Le K, comme tant d’autres, fait écho à notre peur de la mort et au caractère fatal de notre destinée, avec le thème omniprésent d’une attente angoissée.
    Malgré la grande variété de ses modes d’expression, de la poésie au théâtre en passant par la peinture et jusqu’à la bande dessinée des érotiques Poèmes-bulles, Dino Buzzati laisse une œuvre fondue en unité marqué par un ton sans pareil, qu’on pourrait dire d’inquiétude latente, où l’acuité critique le dispute à la mélancolie. Son originalité ne fut pas toujours saisie de son vivant, notamment dans son pays. Parfois considéré comme un épigone de Kafka, critiqué pour son non-engagement politique et social, quand il n’était pas relégué au second rayon pour son recours au fantastique ou à la science fiction, Dino Buzzati pourrait bien, cependant, résister à l’épreuve du temps mieux que certains de ses pairs.

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    Quoique parfois desservi par la traduction, Dino Buzzati fut cependant bien reçu en France où l’éditeur Robert Laffont, Albert Camus, et les professeurs Yves Panafieu et Michel Suffran, en firent découvrir l’exceptionnelle acuité des observations qu’il portait sur notre monde déshumanisé (des vues prémonitoires sur la violence dans la cité et l’inhumanité croissante des relations humaines), mais aussi la profondeur de son regard sur la solitude de l’homme contemporain, l’expression obsessionnelle de la fuite du temps ou la modulation de l’angoisse de l’individu perdu dans le cosmos, qui incita Michel Suffran à souligner son ton « pascalien ».
    Cet aspect « métaphysique » se dégage particulièrement des fragments souvent fulgurants des « carnets » de Buzzati, dont les pages concentrées et cristallines semblent nous attendre, justement, « en ce moment précis »…

         Or écrivant « en ce moment précis » je me rappelle alors la première phrase des carnets de mon cher Dino Buzzati, intitulés précisément In quel preciso momento : « LA FORMULE. – De quoi as-tu peur , imbécile ? Des gens qui sont en train de te regarder ? ou de la postérité, par hasard ? Il suffirait d’un rien, réussir à être soi-même, avec toutes tes faiblesses inhérentes, mais authentique, indiscutable. La sincérité absolue serait en soi un tel document ! Qui pourrait soulever des objections ? Voilà l’homme en question ! Un parmi tant d’autres, si vous voulez, mais un ! Pour l’éternité les autres seraient obligés d’en tenir compte, stupéfaits ».

    Je parle de « mon cher Buzzati » parce qu’une nuit, une fois, dans ma vingtaine, l’un de ses livres m’a sauvé la vie, je crois. Je me trouvais alors seul dans ma trappe bohème du vieux quartier, les fenêtres fermées aux jardins, l’humeur au plus bas, déçu par tout et par tous à commencer par mon mauvais moi, quand soudain j’avisai ce titre d’un livre posé là, sur une pile, ce livre de poche écorné de rien du tout, intitulé Les nuits difficiles et que je commençai de lire pour me trouver bientôt, je ne sais pourquoi, comme délivré et transporté, peut-être une tristesse en effaçant une autre, je ne sais trop, le vraiment noir faisant pièce au gris comme le chapeau de Berthe Morisod chez Manet, ou la grande déprime des récits à se pendre de Patricia Highsmith nous ramenant un sourire humain, enfin ce qui est sûr est que j’ouvris bientôt les fenêtres aux jardins et à tous les parfums de la putain de nuit d’été belle comme la vie.

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    Dino Buzzati. Œuvres. Tome 2. En ce moment précis. L’écroulement de la Baliverna. L’image de pierre. Nous sommes au regret de… Un amour. Le K. Les nuits difficiles. Robert Laffont, collection Bouquins, 1152p. 2006.

  • Métèque de Sa Majesté

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    Hanif Kureishi, des faits à la fiction.

    Les drames humains qui affectent la société contemporaine sous l'effet des flux migratoires, des chocs de cultures, des ruptures entre générations, des bouleversements de l'économie ou de l'évolution brutale des moeurs, marquent assez faiblement la littérature française contemporaine, qui ronronne avec la conviction d'être toujours le centre du monde.

    Par contraste, les écrivains du «domaine étranger», et notamment sur l'aire des empires déchus ou renaissants, nous paraissent beaucoup plus sérieusement à l'écoute du monde contemporain, et sans doute n'est-ce pas un hasard si ceux-là même qui ont vécu dans leur chair le déracinement et les difficultés de l'assimilation, le racisme ou la xénophobie, nourrissent leurs oeuvres de cette réalité bouillonnante.

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    Dans le sillage des plus célèbres rejetons de l'ancien Commonwealth en train de revivifier l'anglais à leur façon - tels l'ex-Trinidadien V.S. Naipaul ou l'ex-Bengali Salman Rushdie -, l'ex-«Paki» Hanif Kureishi, né dans le Kent (en 1948) et sorti de King's College, incarne bien cette capacité à ressaisir, par la fiction, des situations significatives de cette fin de siècle, sans jamais donner dans le simplisme démagogique ou le socio-journalisme.

    Les personnages de Kureishi ressemblent assez à ceux de Tchékhov ou de Simenon, tous plus ou moins pris au piège, doucement paumés ou carrément en perdition, mais combien attachants sous le regard fraternel et gouailleur de l'écrivain. Ainsi du protagoniste d'Intimité, long récit au fil duquel un écrivain de scénarios (tiens tiens) nous détaille, une nuit durant, les mille et une bonnes raisons qui le feront plaquer, promis-juré, et pas plus tard que le matin prochain, son emmerderesse de bonne femme supportée douze ans durant, qui lui a donné deux mômes encombrants comme tout, qu'il a déjà trompée plus souvent qu'à son tour et qui se révèle néanmoins plus attachante au fur et à mesure qu'il la débine. Par aileurs s'accroît la conviction du lecteur que la séparation ne se fera pas, ou, tout au moins, que l'éventuelle échappée du protagoniste n'aboutira qu'à un plus grand empêtrement. Dans la foulée, l'on donnera volontiers son absolution à chaque personnage d'Intimité, tant Kureishi les rend aimables.

     

    Avec une palette plus ample et plus variée, Hanif Kureishi brosse, dans les dix nouvelles rassemblées sous le titre Des Bleus à l'amour, un tableau de la société multiculturelle contemporaine qui serait assez désespérant s'il n'était traversé par le souffle d'une grande tendresse et d'une formidable vitalité, un peu comme il en allait du Snapper de Stephen Frears. Perdus dans la grande ville, voici les petits immigrés «pakis», la mère et l'enfant souffre-douleur, que persécutent Gros Billy l'ex-teddy boy et son méchant fiston. Alors la mère du gosse de gémir à bout d'argument: «Nous ne sommes pas des juifs !»... Ou voilà, dans Ta langue au fond de ma gorge, la jeune junkie rejetée par son père - un coq parvenu régnant à Lahore sur sa basse-cour -, et qui accueille, à Londres, sa demi-soeur fascinée par l'Angleterre: deux univers sont alors confrontés en miroir, aussi déglingués l'un que l'autre.

    Dans la plus longue des nouvelles du recueil, intitulée Dernièrement et composée sur le modèle du Duel de Tchekhov, Kureishi décrit le monde, à la fois velléitaire, convivial, bavard et pathétique d'un groupe qui évoque les vauriens adorables des Vitelloni de Fellini, rêvant de s'arracher à leur trou et n'en trouvant jamais l'énergie. Plus obscure et folle, la nouvelle Veilleuse exprime la quête éperdue de vie palpable qu'un homme poursuit dans un rapport strictement charnel avec une inconnue. Plus obscène encore, Le Conte de l'étron figre l'absurdité cocasse de certaines situations où des bribes de convenances lient encore des gens vivant en réalité comme des sauvages.

    Telle est d'ailleurs la vertu des écrivains du melting pot: qu'à la manière des enfants mal élevés mais pétris de bon naturel, ou devenus hyperlucides par humiliation (Salman Rushdie en est un autre), ils disent tout haut une vérité peut-être blessante pour Sa Majesté mais intéressante à entendre dans sa modulation vibrante d'humanité.

    Devenu célèbre par le truchement du cinéma (il fut le scénariste fêté de Stephen Frears dans My beautiful laundrette et Sammy et Rosie s'envoient en l'air, et deux autres des histoires de son cru ont été adaptées à l'écran: Le Bouddha de banlieue et Mon fils le fanatique), Hanif Kureishi est d'abord et avant tout un écrivain à part entière, conteur et moraliste doux-acide. A travers le prisme de son observation, nous découvrons une réalité qui est celle-là même qui nous entoure, également, ici et maintenant. Un Kureishi saurait ressaisir, à n'en pas douter, la vie triste et joyeuse de vos voisins bosniaques ou celle de votre cousin Paul maniaque de philatélie qui succomba lors du dernier transit astral de certaine secte solaire.

    Hanif Kureishi. Des bleus à l'amour. Traduit de l'angais par Géraldine Koff-d'Amico. Christian Bourgois, 326pp.
    Intimité. Traduit de l'anglais par Brice Matthieussent. Christian Bourgois, 164pp.

     

  • En lambinant vers la Perfection

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    Une approche de l'excellent Monsieur Joubert.


    Les uns voient en Joubert l’huître perlière de la littérature française, qui avance tranquillement dans la vase veloutée en couvant son prochain aphorisme. D’autres se le figurent en escargot tâtonnant de la corne au milieu des gouttes de rosée. Au petit jeu des métaphores zoologiques on pourrait risquer aussi celle du ver à soie, ou suivre Amiel sur l’échelle de l’Evolution en le décrétant horticulteur à chapeau de paille. Une vue plus sophistiquée le pose en architecte du vide. Un arrêt moins révérencieux le taxera d’enc… de moucherons. Les gardiens du Temple n’ont, quant à eux, qu’une image pour le couronner : Joubert est un ange, ainsi soit-il.

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    On peut aimer beaucoup Joubert et trouver du vrai à toutes ces approximations, jusqu’à la plus déplaisante, sans toucher à cela seul qui nous fait revenir et revenir sans cesse, non tant à un sage, ni même à un conseiller, qu’à certaine lumière dans les mots, telle musique pensante qui dispose à l’harmonie intérieure, et cette énergie singulière qui fait de l’esprit de finesse une sorte de puissance douce.


    Encore s’agit-il de dissiper quelques malentendus. La reparution des fameux deux cents cinq carnets et autres feuillets volants, établie par André Beaunier en 1938, assortie d’un essai biographique gentiment désuet de la veuve de celui-ci, et précédée d’un excellent avant-propos de Jean-Paul Corsetti, ménage (pour beaucoup) une véritable redécouverte de l’œuvre dans son inscription chronologique.

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    L’image figée d’un Joubert sagement assis sur sa branche dans le grand arbre des moralistes français, à équidistance de La Rochefoucauld et de Chamfort, en prend alors un coup.

    Vous vous figuriez un sage emperruqué alignant posément formules parfaites sur bons mots ? C’est le profil usuel des recueils thématiques «à la française », où le Joubert au miroir (« La moitié de moi se moque de l’autre », etc.) précède l’inévitable analyste du cœur et des passions (« Il faut tenir ses sentiments près de son cœur », etc.), que suit le moraliste politique (« Presque tout ce que nous appelons un abus fut un remède dans les institutions politiques », etc.) et le critique littéraire (« Voltaire, tu as trompé les hommes en les détrompant ! », etc.), le penseur domestique (« Il n’y a de bon dans l’homme que ses jeunes sentiments et ses vieilles pensées », etc.) ou le métaphysicien à loupiote (« Ferme les yeux, et tu verras », etc.), si possible en progression ascendante.

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    Or, à suivre Joubert, c’est en effet l’escargot qu’on retrouve d’abord en ses tâtons mous, sans une perle longtemps dans le sillage de l’huître. Avant le cap de la quarantaine, on n’aura guère de solide à se mettre sous la dent. L’horticulteur ne se risque pas à la moindre bouture. L’escargot tourne même, parfois, à la limace.

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    On lit ainsi : « Repos aux bons, paix aux tranquilles », « L’évanouissement est une mort courte » ou encore « Le sublime est la cime du grand », pour se surprendre à bâiller la moindre. Joubert a certes fait lui-même la théorie de sa pratique et de ses manques, mais est-ce son meilleur usage que de le suivre dans la valorisation du chétif ? En ce qui me concerne, c’est pour le Joubert vigoureux et original (qu’on lise ainsi l’invraisemblable missive qu’il envoie à sa future femme pour la convaincre qu’il est son seul salut !), le maître de l’intuition et de la pointe, le merveilleux lecteur et le musicien de la langue, le penseur vif et dégagé, que je parierai plutôt, et non pour l’esthète trop délicat, moins encore pour l’âme emmitouflée du mystique en chambre. Peut me chaut que tel commentateur l’exalte en l’assimilant à quelque arachnide mallarméen patinant sur le « blanc du texte », ou que tel autre, par effet de loupe, en grossisse les grâces précieuses pour ne voir en lui qu’un elfe platonicien.

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    Le 8 février 1815 Joubert note : « Tourmenté par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phraze et cette phraze dans un mot. C’est moi. » Or on aura noté en passant le mot « tourmenté » et le mot « maudit », comme on note à longueur d’Amiel le désir et la poursuite d’une œuvre qui ne sera jamais, en vérité, que ce qui reste dans les replis du drap du fantôme enfui – quel vrai trésor pourtant à nos yeux ! Car l’un et l’autre, auteurs « sans livres » selon l’expression de Blanchot, auront du moins grappillé ces « gouttes de lumière » qui constituent la pensée en germe et la langue à sa source.
    Encore « goutte de lumière » fait-il trop bibelot, comme tant de « phrazes » du doux Joseph fleurent la bourre de bas bleu, de mots qui se « peignent à l’oreille » en vocables « où boit la pensée »… Mais en bousculant un peu le trop honnête homme engoncé dans ses couches de bonnets, comme en boxant le cher Amiel drogué de langueur, c’est bel et bien à de vives sources qu’on vient se désaltérer chez l’un et l’autre.

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    Plus on suit, l’âge avançant, le lambin Joubert, et plus l’huître accroît sa capacité de production, quand bien même ce ne serait pas la perle qu’on réclame d’abord à Joubert – mais une pensée qui vivifie. Emmanuel Berl disait à peu près qu’il écrivait pour savoir ce qu’il pensait, et Joubert lui fait écho en notant : « Comment il se fait que ce n’est qu’en cherchant les mots qu’on trouve les pensées ». Et de fait on va les trouver. Quitte, dans la foulée, à se recomposer pour soi-même le recueil tonique des siennes…
    En 1791, le ci-devant ami de Diderot écrivait qu’ "on ne tolérera aucune intolérance» et que « l’exportation sera la peine de tous les prêtres turbulens ». En 1795, à ceux qui invoquent la nécessité des coups d’Etat, il répond que « ce qui est funeste et criminel n’est en aucun temps nécessaire ». Dès ces années il conseille de « chercher la sagesse plutôt que la vérité », car « plus à notre portée ». Mais le souci métaphysique n’en est pas moins le foyer même de sa pensée : « Dieu est le lieu où je ne me souviens pas du reste ». Où l’étonnant : « Ombre de Dieu qui nous luisez… »

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    De son temps il dira «ce siècle de la science opaque », d’une femme qu’«elle avait l’air d’une idée », des rois «qu’ils ne savent plus aimer», des enfants «qu’ils ont plus besoin de modèles que de critiques», de Locke qu’ »il a du trémoussement dans la phrase », de Condillac qu’il est «lac, mare ou bassin, étang ou réservoir, mais n’est pas source », de la religion qu’elle donne «aux imbéciles même leurs vertus». Il parlera de « cette girouette française dont Voltaire est le pivot», de Rousseau qui «remplit de feu» tandis que Platon «remplit de lumière», de La Fontaine comme de « l’Homère des Français »; de son ami Chateaubriand il dira « pompeux comme les roses à cent-feuilles »...
    Joubert écrit que « la vertu par calcul est la vertu du vice », que « le bien vaut mieux que le mieux, que « le médiocre est l’excellent pour les médiocres », que « la bonté sans doute nous rend meilleurs que la morale », que « dans la poésie l’harmonie se fait par les clartés, comme dans la musique par les mouvements », que « l’esprit militaire est un esprit favorable à la bougrerie », qu’ « en littérature il ne faut pas faire le beau », enfin que lui, Joubert, est « comme une harpe éolienne, qui rend quelques beaux sons, mais qui n’exécute aucun air ».
    On citerait à n’en plus finir: l’huître a rattrapé l’escargot depuis longtemps sur le chemin de la plage, le ver à soie file les bandelettes de la momie en ignorant qu’un papillon s’en échappera, et l’horticulteur fume sa pipe d'écume au fond du jardin.

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    Les quatre derniers mots inscrits sur les carnets de Joseph Joubert, datés du 22 mars 1824, deux mois avant sa mort, seront : le vrai – le beau = le juste – le saint.


    Joseph Joubert, Carnets. Avant-propos de Jean-Paul Corsetti. Préfaces de Mme André Beaunier et M. André Bellesort. Gallimard, 2 vol, 1304p.